Les plus orphelines des maladies rares: les maladies sans nom

Maladies non diagnostiquées:  définition, statistiques, problématique et solutions

Une nouvelle décennie débute. Au Québec, nous avons espoir qu’enfin en 2020, des actions seront prises pour améliorer les conditions de santé et de vie des personnes atteintes de maladies rares et orphelines, ainsi que de leurs proches aidants et familles. Cela aura pris une décennie de sensibilisation, d’éducation et de représentations de la part du Regroupement québécois des maladies orphelines (voir démarches ici) et autres acteurs pour qu’enfin le gouvernement du Québec se mette au diapason des autres pays industrialisés. Nous espérons de même pour le reste du Canada pour qu’enfin toutes les personnes atteintes de maladies rares soient moins orphelines dans leur système de santé provincial respectif et sur le plan de la recherche.

Les personnes atteintes de maladies rares et sans diagnostic

Est-ce qu’on peut les appeler des zèbres? Car techniquement les zèbres sont les maladies rares connues parmi les maladies communes (les chevaux). Des cygnes? Il existe quelques organisations à travers le monde pour venir en aide aux non diagnostiqués. Elles sont connues sous l’acronyme SWAN; « cygne » en français. L’acronyme SWAN signifie Syndromes Without A Name. Il y a SWAN UKSWAN AustraliaSWAN USA.

À moins d’être très créatif, difficile d’utiliser le terme « cygne » comme acronyme français pour traduire « Syndromes sans nom ». SNN? Pourquoi pas « Syndrome sans diagnostic fixe »? SSDF, comme les itinérants ou SDF, « Sans domicile fixe », car, sans diagnostic fixe, on n’a pas un domicile fixe dans le réseau de la santé et, sans nom et adresse, difficile d’avoir des services.

On peut distinguer deux groupes de personnes sans diagnostic :

  • Les « pas encore diagnostiqués» sont des patients qui ont peut-être une maladie rare connue, mais qui n’ont pas été dirigés vers le service approprié pour en faire le diagnostic, ou ils ont une présentation clinique inhabituelle de la maladie ou ils présentent des symptômes non spécifiques communs qui sont trompeurs. On espère qu’ils seront éventuellement diagnostiqués et ils peuvent l’être après un délai plus ou moins long.
  • Les « sans diagnostic» sont des patients pour lesquels on a tout fait pour obtenir un diagnostic, mais ils souffrent d’une maladie qui n’a pas encore été caractérisée et qui n’est donc pas une maladie rare connue. On a épuisé les tests et examens qui sont disponibles et on n’a toujours pas de réponse. Certains obtiennent un diagnostic grâce à l’utilisation de nouveaux tests (par exemple, dans le cadre de recherche en génétique avec l’utilisation du séquençage de l’ADN exomique ou génomique).

Nous pourrions aussi définir une troisième catégorie : les personnes avec un « diagnostic ambigu ». Elles ont soit un diagnostic « probable d’une maladie connue X » ou une « maladie X atypique » ou bien l’on hésite entre la maladie X et la maladie Y.

L’errance diagnostique

Toutes ces personnes connaissent une période d’errance diagnostique plus ou moins longue (toute leur vie pour certains) qui peut être entrecoupée de faux diagnostics ou, à défaut d’un diagnostic de maladie à cause physique, on leur donne un diagnostic psychiatrique.

Quels sont les délais de diagnostics pour une maladie rare?

Selon le sondage réalisé au Québec par le RQMO  en 2010 (répondu par près de 300 patients ou proches aidants) :

  • pour 37 % des répondants, il a pris 3 ans ou plus pour obtenir leur diagnostic;
  • pour 27 % des répondants, il a pris 5 ans ou plus;
  • pour 18 % des répondants, il a pris plus de 10 ans;
  • 30 % ont consulté 5 médecins ou plus avant d’obtenir leur diagnostic.

(Notez: Les maladies diagnostiquées étaient toutes des maladies rares connues)

Témoignage extrait du sondage :

J’ai dû attendre 30 ans avant d’obtenir un diagnostic. Mon suivi médical est éparpillé un peu partout à travers les divers spécialistes, dont la plupart ne connaissent pas la maladie dont je suis atteinte et traitent seulement les symptômes sans vraiment comprendre ce dont je suis atteinte. Tout ce que je sais de ma maladie, je le sais parce que je me suis informée à travers les années sur internet; très peu de médecins m’ont donné des réponses et beaucoup m’ont donné de fausses informations à ce sujet. Il est aussi très difficile de trouver des spécialistes ou des paramédicaux comme des physiothérapeutes qui connaissent la maladie et qui peuvent me traiter de la bonne façon.

Autres données provenant d’un sondage pancanadien réalisé par le Canadian Organization for Rare Disorders (CORD) et répondu par plus de 500 personnes en 2014.

  • pour 22 % des répondants, il a pris 3 à 12 mois pour le diagnostic;
  • pour 17 %, de 3 à 6 ans;
  • pour 24 %, plus de 6 ans.

Et nous vous présentons ici un tableau extrait d’un sondage réalisé par Eurordis auprès de 12 000 patients en Europe (The Voice of 12,000 Patients. Experiences and Expectations of Rare Disease Patients on Diagnosis and Care in Europe, 2009):

Tableau 1. Temps médian écoulé entre les premiers symptômes et un diagnostic correct (traduit par l’auteure). Le nombre de répondants pour chaque maladie varie entre 414 et 1 015. C’est la médiane qui est employée ici pour le délai de diagnostic.

Cliquez sur le tableau pour agrandir

 

De nombreux obstacles rencontrés durant la période d’errance diagnostique :

  • Médecins incrédules devant des symptômes « bizarres » ou un ensemble de symptômes non spécifiques communs, les entraînant à considérer un diagnostic psychiatrique.
  • Victimes du « syndrome de la page d’avant »*, c’est-à-dire de l’inscription dans le dossier médical d’une référence à un problème psychologique, à une condition psychosomatique ou à une maladie psychiatrique (* expression utilisée par l’avocat spécialisé en santé, Me Jean-Pierre Ménard).
  • Stigmatisation des patients du fait qu’ils consultent de nombreux médecins (“ils magasinent“).
  • Médecins traitants découragés devant leur incapacité de diagnostiquer et de traiter.
  • Les patients qui remettent en question eux-mêmes leur santé mentale.
  • Traitement des symptômes par essais et erreurs.
  • Interventions ou chirurgies inutiles ou inappropriées.
  • Questions sans réponses par rapport à la transmission héréditaire possible de la maladie et la probabilité qu’un autre membre de famille soit affecté.
  • Difficultés d’accès à des services ou programmes même s’il y a de réels handicaps ou incapacités (programmes d’aide financière pour les handicapés ou invalides, centres de réadaptation, remboursement de matériel médical, programmes en milieu d’étude ou de travail, etc.).
  • Et enfin, souvent une incompréhension de l’entourage par rapport à la quête des patients ou des parents pour trouver un nom et une explication à leur maladie ou celle de leur enfant.

Combien y a-t-il de personnes malades sans diagnostic?

On lit ou entend souvent : « 40 à 50 % » de malades sont sans diagnostic. Cette statistique est présentée sans source bibliographique. C’est peut-être un chiffre qui date et qui persiste encore dans les écrits sur les maladies rares, car il y a peu de statistiques exactes dans le domaine des maladies rares. Peut-être que cela faisait référence aux maladies ou syndromes souvent retrouvés dans les services pédiatriques? À une époque plus lointaine, on y retrouvait peut-être un enfant malade sur deux qui avait un syndrome malformatif avec ou sans déficience intellectuelle et qui n’avait pas obtenu de diagnostic.

Au Japon, on a tenté d’estimer les « sans diagnostic ». L’étude a conclu à plus de 37 000 patients sans diagnostic dans le système de santé japonais. La population totale du Japon est de 127 millions de personnes. On peut estimer à environ 6 millions, le nombre de personnes atteintes de maladies rares au Japon. Un nombre de 37 000 patients sans diagnostic semble peu, mais nous avons peu de points de référence.

(Référence : Survey on patients with undiagnosed diseases in Japan: potential patient numbers benefiting from Japan’s initiative on rare and undiagnosed diseases (IRUD), Takeya Adachi et collaborateurs, Orphanet Journal of Rare Diseases. 2018. 13: 208.)

Bien qu’il soit difficile de dire combien il y a de « non diagnostiqués » au Québec ou ailleurs, aujourd’hui, le taux de réussite des diagnostics a augmenté suite à la caractérisation de milliers de syndromes, le développement d’outils d’aide au diagnostic, avec les avancées de la technologie génétique (séquençage à haut débit exomique, génomique et de l’ARN) et le partage plus rapide des connaissances. Nous osons espérer qu’il y a maintenant moins de 40 à 50 % de malades sans diagnostic.

Que faire pour réduire les délais de diagnostic pour les maladies rares?

En 2016, une coalition internationale d’associations de patients a publié cinq recommandations pour répondre aux besoins spécifiques des malades rares sans diagnostic :

  1. Les patients atteints de maladies rares non diagnostiquées devraient être reconnus comme étant une population distincte.
  2. Chaque pays devrait avoir des programmes nationaux durables dédiés aux personnes sans diagnostic.
  3. Le partage de connaissances et d’information devrait être structuré et coordonné au niveau national et international.
  4. Les patients devraient être impliqués dans la gouvernance de ces programmes pour en fixer les priorités.
  5. Promouvoir le partage éthique et responsable des données.

(Source : International Recommendations to Address Specific Needs of Undiagnosed Rare Disease Patients)

Propositions pour réduire les délais de diagnostic au Québec

Dans la Stratégie québécoise en matière de maladies rares rédigée par le RQMO suite à de nombreuses consultations, voici les propositions mises de l’avant pour réduire les délais de diagnostic au Québec :

  • Formation des futurs médecins et éducation continue sur les outils et les ressources existants pour le diagnostic de maladies rares et sur l’approche à adopter avec le patient si on ne réussit pas à trouver un diagnostic.
  • Registre de médecins experts de certaines maladies rares par spécialité.
  • Établir des cliniques de maladies rares par spécialité (centres de référence).
  • Établir des cliniques ou programmes dédiés aux patients avec une maladie non diagnostiquée
  • Utilisation de la télémédecine

Particulièrement pour les maladies d’origine génétique :

  • Meilleure formation des médecins pour identifier les maladies héréditaires dans les familles ou les signes/diagnostics qui augmentent le risque d’avoir un enfant atteint d’un désordre génétique
  • Augmenter et organiser les ressources en génétique médicale pour libérer les médecins généticiens afin qu’ils s’occupent davantage des diagnostics (plus de conseillères en génétique)
  • Cliniques de génétiques « outreach » dans les régions du Québec (avec médecins généticiens et conseillères en génétique.
  • Uniformiser l’offre de tests génétiques à travers les services de génétique médicale et autres services (neurologie, cliniques de cancers héréditaires, etc.).
  • Établir un ou des centres de génomique pour offrir le séquençage à haut débit dans un but de diagnostic clinique (pas seulement pour la recherche et autant pour les adultes que pour les enfants).
  • Développer des programmes de dépistage préconceptionnel, prénatal et néonatal
  • Développer des programmes de dépistage de certaines catégories de maladies (ex. cancers héréditaires, immunodéficiences, etc.)

19 janvier 2020, Gail Ouellette, Regroupement québécois des maladies orphelines

Mise à jour juillet 2023:

 

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